Cécile Gagnon en Ontario à 14 ans

Quelque part durant les années 1880, quatre jeunes hommes quittent une terre du Lac-Saint-Jean, près de Saint-Jérôme de Métabetchouan, pour aller travailler dans la région de Cornwall, en Ontario. Leur famille n’est pas arrivée sur la plaine de Métabetchouan depuis si longtemps, pourtant. Ce sont leurs père et mère qui sont venus s’établir au Lac-Saint-Jean, vers 1860, laissant Sainte-Agnès de La Malbaie et Charlevoix où ces Gagnon descendants de l’ancêtre Mathurin Gagnon étaient installés depuis plusieurs générations.

PAR MARC DORÉ

Ces quatre jeunes hommes sont les fils célibataires de François Gagnon et Pauline Dallaire, anciennement d’Hébertville mais vivant alors à Métabetchouan, sur les bords de la rivière Couchepagane. Ils se nomment Joseph, Thomas-Louis, François et Jean-Baptiste. Et ils réussiront éventuellement à convaincre leur mère de les laisser amener avec eux leur jeune sœur, Cécile, pour tenir maison. Née en 1874, à Saint-Jérôme de Métabetchouan, Cécile Gagnon est l’avant-dernier enfant de François Gagnon et Pauline (Apolline ou Poline, on trouve dans divers documents officiels les trois versions du prénom) Dallaire, originaires de Sainte-Agnès.

PAS FACILE LE LAC-ST-JEAN

Dans les années 1880, il y a déjà une trentaine d’années que des colons, arrivés de Charlevoix et de la Côte-Sud par la voie fluviale (rivière Saguenay jusqu’à Chicoutimi, rivière Chicoutimi jusqu’au...

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On pense que c’est vers 1888 (elle a 14 ans), qu’elle rejoint dans l’Est ontarien quatre de ses frères partis là-bas pour travailler : Joseph (né en 1862), Thomas-Louis (né en 1867), François (né en 1872) et Jean-Baptiste (né en 1876). Elle reviendra au Saguenay pour y mourir, 31 ans plus tard. Elle décède en effet le 16 avril 1919 à l’Hôtel-Dieu Saint-Vallier de Chicoutimi ; ses funérailles ont lieu le 19 du même mois, à la paroisse Saint-François-Xavier de Chicoutimi. Elle est enterrée dans le cimetière Saint-François-Xavier, mais l’emplacement exact de sa tombe est inconnu.

On ne connait pas exactement les raisons de cette migration familiale majeure. Blanche Lizette, fille de Cécile, dans une longue entrevue enregistrée, dira à Paul-Émile Doré son fils que tous les Gagnon sont allés en Ontario, certains pour quelques semaines ou quelques mois, d’autres pour des années ou pour la vie.

Cette famille Gagnon est fraichement arrivée au Lac-Saint-Jean, une nouvelle région ouverte à la colonisation à partir des années 1850 ; tous ses membres ont mis de grands efforts à défricher cette terre encore recouverte de forêts au milieu du 19e siècle. C'est pour ces lots de culture accessibles et disponibles à qui veut les prendre que François Gagnon et Pauline Dallaire ont quitté Sainte-Agnès de Charlevoix, un pays où déjà toutes les lopins cultivables sont occupés.

François Gagnon et Pauline Dallaire se sont mariés le 21 août 1849 à Sainte-Agnès de Charlevoix, tout à côté de La Malbaie. Ils auront 12 enfants dont les plus jeunes naitront au Lac-Saint-Jean où ils se sont établis vers la fin de la décennie 1860. Et il faut trouver des terres pour tous ces enfants qu’ils mettent au monde.

LA MIGRATION DES GAGNON « MATHURIN » (à venir) et LA MIGRATION DES LIZOTTE

 

Arrivés à Hébertville, qui est depuis 1850 la porte d’entrée de la colonisation du Lac-Saint-Jean pour les migrants de la Côte-Sud et de Charlevoix, les Gagnon-Dallaire se fixent dans le rang Sainte-Anne, le pays de Couchepagane le long de la Belle-Rivière. Il n’est pas inutile de rappeler que cette migration se fait par le chemin d’eau (rivière Saguenay jusqu’è Chicoutimi ; rivière Chicoutimi par le Portage du Coteau ; lac Kénogami et Kénogamichiche; portage vers la Belle-Rivière). C’est le même chemin pris à la fin du 17e siècle par l’ancêtre Nicolas Peltier qui s’y établit pour un temps dans les années 1680, et qui passa 50 ans de sa vie dans le Domaine du Roy. Ces Gagnon-là sont des descendants de Peltier et de sa petite-fille métisse Cécile Kaorate.

 

Cécile et ses trois enfants vivants vers 1901, John Jr, Hubert et Pauline-Blanche

John Maxime Lizette photographié dans un studio du Minnesota à une date inconnue

À peine vingt ans, une génération quoi ! voilà que les enfants de François Gagnon et Pauline Dallaire reprennent la route. À Moose Creek, Ontario, Cécile épouse le 10 octobre 1893 John Maxime Lizotte, né en 1875. Ces Lizotte, partis de Rivière-Ouelle à la fin du 18e siècle, ont remonté lentement le fleuve et sont rendus en Ontario depuis trois générations. John Junior, le premier enfant du jeune couple (Cécile a 20 ans, John Maxime 19), naît en septembre 1894 ; quelques mois auparavant, sa grand-mère Elizabeth Holland Lizotte avait donné naissance à son onzième enfant, Arthur Onézime Lizotte. Elle en aura 12, dont le dernier est né en 1896.

Cécile et John Maxime auront ensuite quatre enfants, qui mourront en bas âge: Thomas Wilfrid (1897-1900); les jumeaux Émilien et Émile en 1898, des prématurés qui décèdent à la naissance pour l’un, quelques semaines après pour l’autre; Pauline Blanche (1899-1901) qui vivra juste assez longtemps pour avoir son nom dans un recensement. Le nom de cette Blanche se retrouve en effet dans le recensement de 1901, tout comme celui d’Antoine Hubert, né en 1900. Une photo où se trouvent certains des enfants disparus s’est rendue jusqu’à nous.

En 1902, c’est l’année de la naissance de la seconde Blanche, qui vivra cent ans et aura 16 enfants ; puis Rosina Zélia, dit Lilly, nait en 1904 (elle est décédée en 1933). Cécile accouche de son dernier bébé, Damien, en 1908 ; l’enfant décède en 1909. Elle a alors 35 ans. C’est son 8e accouchement en moins de 15 ans ; seulement quatre de ses neuf enfants se rendront à l’âge adulte.

 

Une photo-carte postale envoyée par Cécile Gagnon à sa nièce Apoline Gagnon le 9 octobre 1912. De g. à d., Blanche-Ida, Hubert, Lilly

On ne sait pas exactement quand John Maxime Lizette a quitté sa famille. Blanche dit se rappeler que ça s’est produit un soir terrible, quand elle avait 4 ans, en 1906 ou 1907, donc. Mais il est possible que cet évènement traumatisant se soit déroulé en plusieurs épisodes de départ et de retour : le dernier né de Cécile, Joseph Gérard Damien est né en effet le 2 février 1908.

Au recensement de 1911, Cécile est identifiée comme « chef de ménage » ce qui confirme que son mari ne vit plus avec elle. Elle réside alors à Stormont, près de Moose Creek, avec trois de ses enfants : Herbert (Hubert) 11 ans, Blanche, 9 ans, Lillie, 7 ans. Les enfants font encore des séjours à l’orphelinat à cette époque, et sans doute les deux filles continuent-elles d’être éduquées en anglais par les sœurs irlandaises de l’orphelinat qu’elles fréquenteront jusque vers 1914-15, selon Blanche. Leur mère en effet doit gagner sa vie, peut-être comme femme à tout faire à Cornwall, où elle réside à partir de 1912 vraisemblablement, selon une carte postale du 9 octobre 1912 envoyée à une nièce de Moose Creek qu’elle invite à venir faire un tour chez elle - la missive est datée de Cornwall.

Son fils aîné John (né en 1894) ne vit plus chez elle depuis plusieurs années. Ce sont ses grands-parents Maxime Lizotte et Elizabeth Jane Holland, qui en sont aussi les parrain et marraine, qui l’accueillent chez eux à Massena, dans l’État de New York, où il travaille dans le commerce familial. Maxime et Elizabeth vivent aux États-Unis depuis 1899 où ils se sont installés définitivement. Maxime décèdera en 1917, Elizabeth en 1934; les avis de décès publiés dans les journaux locaux indiquent qu’ils sont bien enracinés dans leur communauté. Il semble qu’Hubert passera aussi du temps chez ses grands-parents, si bien qu’en 1916, quand Cécile partira vers Montréal où elle séjournera deux ans, elle le fera avec ses deux filles seulement.

1916, c’est aussi l’année où John jr s’engage dans l’armée canadienne, le Corps expéditionnaire canadien composé de volontaires pour aller combattre en France sur le front des tranchées. Sa mère et ses sœurs sont allées le reconduire au train qui l’amènerait de Montréal à Halifax où il s’embarquera sur le transporteur de troupes Laconia en direction de Liverpool, Angleterre.

En 1919, le 21 août, retour d’outre-mer, on trouve sa trace aux douanes américaines. Trois jours après avoir été démobilisé à Québec, il est enregistré au poste de douane de Port of Fort Covington, en face de Cornwall, Ontario, accompagné d’une femme de 24 ans, Elizabeth, sans doute sa femme anglaise épousée à Liverpool durant la guerre. Il y déclare au douanier américain qu’il a vécu aux États-Unis de 1907 à janvier 1916, à Massena, New York. En plus des sommes qu’il fait parvenir à sa mère Cécile à Montréal, durant la guerre John verse une partie de sa solde militaire à « E. Lizette, Massena, NY ». La grand-mère Elizabeth était veuve depuis le décès de son mari Maxime Lizette, en 1917.

Le même poste de douane enregistre le passage en juillet 1917 de son frère Herbert, 16 ans, à destination de Massena. Les archives des douanes américaines conservent la trace de passages réguliers des frères Lizette jusqu’au milieu des années 1920. C’est après cette date que John Maxime déménagera à Winnipeg, Manitoba, et que l’y rejoindront ses fils John et Hubert. C’est là qu’il est mort en 1931, et c’est là qu’il est enterré. Les fils Lizette y passeront toute leur vie mais leurs soeurs vivront elles au Lac-Saint-Jean.

Deux affiches de propagande de la Première Guerre mondiale, à Montréal

Pierre tombale de John Maxime Lizette. Winnipeg